La honte. J’ai beau chercher, je ne trouve pas d’autre mot. A l’heure où le mouvement social commence à s’organiser pour dénoncer les attaques sans précédent faites à la démocratie, il reste un point que l’on n’aborde jamais assez, et qui pourtant me paraît être le plus grave de tous.


En 2008, le ministère de l’immigration et de l’identité nationale s’est vanté d’avoir organisé 30 000 reconduites à la frontière. Le nouveau ministre en prévoit autant pour 2009. Le problème n’est pas uniquement français, mais ne nous leurrons pas : la France est le wagon de tête en ce qui concerne le rejet et l’injustice vis-à-vis des étrangers. La preuve en est le Pacte européen sur l’immigration, voté par tous les pays d’Union Européenne, sur proposition de M. Hortefeux.


Pendant la campagne présidentielle, quand M. Sarkozy a annoncé son projet de ministère pour l’immigration et l’identité nationale, les réactions avaient été vives. A l’extrême-droite, Jean-Marie Le Pen avait hurlé « on me vole mon programme », et partout ailleurs, on était scandalisé. C’est à ce moment-là que de nombreux soutiens à l’UMP ont appelé à ne pas voter pour ce candidat. En effet, lier immigration et identité nationale, c’est laisser entendre de façon claire que l’immigration est un danger pour l’identité nationale. En somme, c’est dire que les étrangers risquent de dénaturer la France. Il y a un mot pour ça, c’est la xénophobie. D’ailleurs, il y a une façon simple de voir ça. Ouvrez un dictionnaire de philosophie de lycée à la page « identité ». Il ne faut pas chercher loin pour trouver une explication simple selon laquelle si on donne une identité à un groupe, et notamment à une nation, on nie alors à chacun la possibilité de son marquage en tant qu’individu, et donc le droit à la différence. Parler d’identité nationale, c’est donc, de fait, considérer qu’une nation est un ensemble identique, et que ce qui n’est pas national n’est pas « pareil ». L’identité nationale, à elle seule, est un rejet de l’autre. Mais si en plus on lui attribue le même ministère que celui de l’immigration, alors le message est clair. On donne raison aux groupes identitaires, c’est-à-dire aux mouvements néo-nazis à la mode du moment.


Mais revenons à ce pacte européen. A l’initiative de la France, il interdit les régularisations massives. Pourquoi ? Pour être sûr que si la gauche gagne dans un pays de l’UE, elle soit obligée d’appliquer une politique similaire à celle de la droite. Il semble absolument intolérable qu’un gouvernement puisse vouloir considérer que ceux qui vivent dans son pays ont droit à la nationalité de ce pays. Par ailleurs, le pacte détermine l’immigration choisie comme politique européenne, et appelle les pays membres à accepter les immigrés « hautement qualifiés ». En somme, on condamne la fuite des cerveaux européens vers l’Asie ou l’Amérique, mais on veut bien de la fuite des cerveaux asiatiques ou africains vers l’Europe.


Et concrètement, vous êtes-vous déjà demandé comment se passait une reconduite à la frontière ? La plupart du temps, la police fonctionne par rafles. C’est-à-dire que des cars de police font une descente dans un endroit soupçonné d’héberger des immigrés sans-papiers (par exemple une école, une mosquée, une maison de retraite…). Les agents font un contrôle massif des papiers, et ceux incapables de fournir leurs papiers sont arrêtés, mis en garde-à-vue, puis généralement envoyés assez vite vers un centre de rétention administrative. Il s’agit ni plus ni moins d’une prison, dans laquelle sont enfermées des familles entières, indistinctement des hommes, femmes, enfants et vieillards. Des gens innocents, qui ont toujours travaillé en France, qui sont inscrits à la sécurité sociale, qui respectent la loi, parlent français, envoient leurs enfants à l’école, sont mis en prison. Au bout d’une période (pouvant officiellement durer plus d’un mois), ces gens sont conduits menottés, et escortés par la gendarmerie, dans des avions qui les reconduisent dans leur pays d’origine.

Il y a quelques mois, l’Australie (qui suit à peu près la même politique) a ainsi expulsé plusieurs personnes vers l’Afghanistan. A leur arrivée, ils ont été pris en charge par le gouvernement afghan, qui les a condamnés à mort et décapités. Pensez-vous que cette tragique histoire ait fait réfléchir l’Europe ? Pas le moins du monde, puisque les expulsions continuent, quel que soit le pays d’origine.


Puisqu’il fallait que chaque détail porte son lot d’horreur, la réunion européenne sur la politique d’immigration s’est tenue à Vichy, était-ce pour que le symbole soit vraiment limpide comme de l’eau de source ? On pourrait aussi, bien entendu, citer le camp de Rivesaltes près de Perpignan, qui, en 1942, servait de camp nazi pour la rétention des juifs, tziganes et républicains espagnols, et dont les barbelés sont toujours en service autour du centre de rétention administrative qui utilise donc les mêmes locaux.

D’autres exemples sont tout aussi édifiants (comme le centre de Cayenne, par exemple), et les citer tous présenterait peu d’intérêt. Mais de grâce, ne négligeons pas cet aspect abominable de la politique européenne actuelle.

Ce n’est pas chose facile à dire, mais aujourd’hui, j’ai honte de ce que fait l’Europe.
Retour à l'accueil