Voilà environ 3 semaines que je n'ai pas écrit ici et pourtant les sujets n'ont pas manqué, n'est-ce pas? Il est vrai que j'ai été pris par ailleurs, mais c'était avant tout un choix délibéré de ma part. Je souhaitais en effet que la tendance au buzz de la blogosphère (à laquelle je sais ne pas échapper plus que d'autres) ne fausse pas trop mon jugement sur tout ce qui a agité notre planète ces dernières semaines. Il m'a donc paru judicieux de prendre un petit peu de recul.

Notre président de la République a donc signé une tribune  dans Le Monde, en début de semaine, le même soir où il donnait une réception au très luxueux hôtel Bristol réservée à celles et ceux qui avaient fait don de plus de 3000€ à l'UMP dans l'année. Mais contrairement à ce qu'il a fait au cours de cette réception, M.Sarkozy ne s'est pas ouvertement moqué des parlementaires français ni des anciens présidents de la République, dans sa tribune du Monde. Il n'y a pas non plus reparlé du bouclier fiscal comme il l'a fait devant ses bienfaiteurs pour leur promettre de ne jamais revenir dessus en ces temps de crise où il convient aux classes pauvre et moyenne seulement de se serrer la ceinture.

Non, au lieu de toutes ces choses, le président a choisi d'intervenir sur un sujet brûlant et absolument nécessaire dans la situation actuelle de notre pays: l'identité nationale.


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Il ne m'a pas échappé que c'est précisément sur ce propos qu'il a demandé à ses sujets concitoyens de débattre auprès de leur préfet (pour plus de facilité si le débat devait aboutir à des délations de sans-papiers, sans doute). Soit. En bon citoyen français, j'aimerais apporter ma modeste contribution à ce débat urgent et hautement utile.

Puisque je suis français, j'aimerais commencer ma réflexion par une méthode tradionnelle de l'école universitaire française, qui consiste à analyser les termes de la question: "L'identité nationale".
En cherchant "identité" dans un dictionnaire basique, j'y trouve ceci: " Identité: nf, 1.désignation exacte d'un individu, tout ce qui fait la particularité de celui-ci. 2. fait d'être considéré comme étant la même chose."
En cherchant "nationale" dans le même dictionnaire, je trouve cela: "national,e: adj, 1.relatif à la nation, qui intéresse un pays dans son ensemble ou le représente. 2. qui appartient à l'Etat."

Le nom et l'adjectif me paraissent, comme ça, inconciliables. D'un côté il s'agit d'une chose personnelle, inaliénable et absolument individuelle, de l'autre il s'agit de quelque chose de purement collectif et anti-individuel. Un dictionnaire philosophique destiné aux élèves de terminale résume le paradoxe ainsi:

"La notion d'identité d'un groupe a-t-elle un sens?Autrement dit, l'identité n'est-elle pas nécessairement individuelle, personnelle? Tel est le reproche que certains adressent aujourd'hui au multiculturalisme, au nom du double principe d'autonomie et de réciprocité des sujets individuels: en "marquant" les individus par leur identité culturelle, le multiculturalisme interdit qu'ils se définissent comme individus et empêche de reconnaître en un autrui "différent" un alter ego."

On comprend donc, sans avoir fait d'études de philosophie politique, que le seul fait de parler d'identité nationale est une façon d'exclure comme différents ceux qui ne seraient pas porteurs des caractères de cette identité, tout en faisant de la nation un groupe dans lequel l'individu serait privé de toute expression personnelle de sa propre identité.

Qu'on se comprenne: quelqu'un qui est français peut être attaché à la culture française, ça ne construit pourtant pas son identité. Cette personne peut être également homosexuelle, musulmane et cinéaste, chacun conviendrait de l'absurdité de lui coller une identité homosexuelle, musulmane ou cinématographique. Pourquoi? Parce que l'identité ne dépend pas du groupe auquel on appartient, mais de la personne que l'on est soi-même, indépendamment de tout critère communautaire.

De là à dire que le débat imposé par le président de la République a pour but de soumettre les Français dans leur gigantesque et magnifique diversité à l'uniformité d'une nation pour mieux leur permettre de rejeter ceux qui ne correspondraient pas aux critères, il n'y a qu'un pas que vous me permettrez de ne pas franchir pour éviter que ce blog soit fermé comme cela est arrivé à d'autres.

Mais revenons-en à cette tribune présidentielle. Pour mieux expliquer ce qu'était l'identité nationale, M.Sarkozy a offert aux lecteurs du Monde un bel amalgame entre religion et géographie. En effet, les choses sont claires pour lui: "ceux qui arrivent" sont des musulmans, et "ceux qui accueillent" sont des chrétiens. Pourtant, n'y-a-t-il pas des chrétiens, des juifs, des bouddhistes et autres parmi les immigrés de France? Et de la même façon, parmi les Français non immigrés, ne trouve-t-on pas des musulmans, des juifs, des animistes? Au-delà de ce problème sémantique moins innocent qu'il n'y paraît, autre chose me chiffonne. Depuis quand la religion constitue-t-elle un critère pertinent dans la République? Je croyais, pour ma part, que depuis la séparation de l'église et de l'état en 1905, elle n'intéressait pas la chose publique. Il y a bien une période, depuis lors, où la France a pris soin de noter officiellement la religion des résidents français, c'était entre 1940 et 1944, et le but avoué était de pouvoir livrer les citoyens juifs aux griffes meurtrières de l'Allemagne nazi. Je ne suis pourtant pas convaincu que ce soit à ce cher modèle pétainiste que M.Sarkozy a envie d'être associé.

Pour ma part, j'avoue être désorienté par ce texte émanant du plus haut personnage de l'Etat: je ne suis pas religieux et ne parviens pas à trouver dans quelle catégorie me classer parmi celles qu'il propose: "Chrétien, juif ou musulman, homme de foi, quelle que soit sa foi, croyant, quelle que soit sa croyance". A moins, peut-être, que je ne sois pas concerné par cette tribune, ce qui signifierait que je ne suis pas porteur de l'identité nationale. N'est-ce pas malheureux de se voir exclu de sa nation laïque sous prétexte que l'on n'est pas religieux?

Mais les lecteurs réguliers de ce blog, que je salue au passage, se doutent bien que je ne vais pas accepter cela aussi facilement. S'il n'existe pas pour moi, vous l'aurez compris, d'identité nationale, il existe bien une culture nationale. Oui, la culture française existe, et elle est héritée de toute l'Histoire de France depuis les grottes de Lascaux jusqu'à nos jours. Cette histoire comprend bien entendu toute l'histoire de la colonisation, de la décolonisation, et de l'immigration. N'y avait-il en France aucun immigré pendant la Révolution Française, moment fondateur s'il en est de notre politique contemporaine? N'y avait-il aucun étranger dans les épisodes les plus marquants de notre histoire récente, de la Commune de Paris à la victoire de la coupe du Monde 1998 en passant par la  guerre des tranchés de 14-18 et la résistance sous l'occupation de 1940? Voilà des questions auxquelles les élèves de terminale S. appelés à s'interroger sur leur identité collective ne pourront sans doute pas répondre dès la rentrée prochaine, mais qui ont pourtant un sens dans le débat actuel. Il n'existe pas d'Histoire de France sans immigration, et l'Histoire ne s'écrit pas à moitié, sans quoi ce n'est au mieux qu'une erreur, au pire de la propagande. Alors cette culture française, que je respecte et espère honorer autant qu'elle le mérite, je ne l'envisage pas sans la diversité des identités et des nations qui l'ont forgée.

Que serait la France sans certaines choses qui font sa particularité: la sécurité sociale, le service public, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, les congés payés, l'enseignement pluraliste de qualité non destiné à la seule formation professionnelle mais bien à l'éducation et l'élévation spirituelle, l'usage du droit de grève, la laïcité, le syndicalisme, le programme du conseil national de la résistance... Toutes ces choses que le gouvernement est en train de tenter de réduire à néant. Que serait-elle, cette France-là?
Probablement un pays où l'on préfère se concentrer sur des questions sans aucun sens pour ne pas voir tout le mal qu'on lui fait.
   
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