"L'état comprime et la loi triche
L'impôt saigne le malheureux
Nul devoir ne s'impose aux riches
Le droit du pauvre est un mot creux"

Voici un extrait des paroles originales de la chanson que vous aurez le plaisir d'entendre - et plus que jamais de comprendre - en générique du dernier film de Michael Moore,
Capitalism: a love story.


A voir et faire voir à tout prix.

Alors bien entendu, ce film n'est pas totalement parfait. Il sera sans nul doute accusé d'être un horrible brûlot d'extrême-gauche (ce qu'il n'est pas) et je ne peux même pas dire que je suis parfaitement en accord avec tout ce qu'il dit. Pour autant, le constat qui est dressé (uniquement au sujet des Etats-Unis, mais qui est entièrement vrai pour la France et l'Europe également) sur le bilan du capitalisme et de tous les aspects de l'économie de marché est criant de vérité.

Quatre domaines y sont abordés principalement: l'économie, la politique, le mouvement social et la religion.
Dans chacun de ces quatre domaines, M.Moore montre avec humour et sensibilité à quel point l'économie de marché est une catastrophe.

I. L'économie

Dans des termes toujours accessibles, ce film montre que le capitalisme, en plus de marcher sur la tête puisqu'il brûle l'argent qu'il produit lui-même, est profondément incompatible avec une société humaine.
Pourtant, ça ne marche pas si mal, me direz-vous. En effet, et c'est bien le point de départ du documentaire: une famille heureuse, dont les deux parents travaillent pour payer la maison et l'école des enfants, qui se satisfait de son petit confort matériel et rêve de pouvoir accéder à l'échelon social supérieur. C'est typiquement le rêve américain, c'est-à-dire le capitalisme comme il devrait théoriquement marcher. Pourtant, les usines ferment, le chômage n'en finit pas de s'accroître, les gens sont expulsés de leur maison et n'ont plus aucune chance d'accéder à quelque échelon supérieur que ce soit. C'est donc l'échec  total du rêve américain. Mais au moment même où les Américains en prennent conscience, Nicolas Sarkozy nous le vend comme un remède miracle. Dire que ce président a 30 ans de retard dans sa rhétorique ne me parait donc pas exagéré.

II. La politique

En quelques minutes, et par une habile démonstration preuves à l'appui, M.Moore montre comment de grands lobbys financiers (Goldman Sachs et Citibank pour ne pas les nommer) se sont véritablement emparés du ministère des finances américain depuis la présidence de Reagan. Concrètement, cela représente plusieurs centaines de millions de dollars qui ont été offerts sans condition à ces banques d'affaires par le ministre des finances de George W. Bush, qui se trouvait par hasard être l'ancien PDG de Goldman Sachs. Voilà quelque chose qui n'existe pas en France, pourrait-on se dire. Et il est vrai que le système électoral et politique français permet moins ce genre d'abus. Pourtant, n'est-ce pas la soeur du PDG de PriceMinister qui est devenue ministre de l'économie numérique? N'est-ce pas le frère du n°2 du MEDEF qui est devenu président de la République? N'est-ce pas le fils de ce même président qui est devenu administrateur du quartier d'affaires de la Défense? La France marche moins par lobbying, peut-être, mais elle marche en tout cas clairement par des logiques de réseau. Le piston, l'aide aux copains, à la famille... Ces choses qui sont foncièrement antidémocratiques et qui permettent aux plus riches (vous savez, ceux qui ont une Rolex à 50 ans) de le rester... et d'occuper le pouvoir. N'oublions pas que c'est sur le yacht de l'industriel Vincent Bolloré que le président Sarkozy a passé ses premières vacances. N'oublions pas non plus que ce sont l' industriel Martin Bouygues, le patron de presse Bernard Arnault, le DG de LVMH Nicolas Bazire et la porte-parole de Prada France, Mathilde Agnistinelli qui ont été les témoins de ses mariages.
Contrairement à M.Moore en revanche, je ne place pas véritablement d'espoir en M. Obama pour mettre fin au capitalisme. Si, comme beaucoup, j'espère que ce nouveau président des USA forcera un changement positif pour son pays, je dois reconnaître me faire relativement peu d'illusions sur sa capacité (et surtout sa volonté) à changer le système en profondeur.

III. Le mouvement social

C'est l'une des parties des plus intéressantes de ce film pour les spectateurs européens. En France, nous sommes relativement habitués à voir ou vivre
des grèves et des manifestations. Il existe ici de relativement forts partis socialiste et communiste. Ce n'est pas le cas aux Etats-Unis. Il y existe un parti communiste qui n'a l'opportunité de se présenter à aucune élection, et un parti socialiste qui ne compte qu'un seul élu au congrès.  Longtemps, aux USA, le seul mot de "socialiste" a été considéré comme une insulte. Pour M.Moore, il ne l'est plus. Il montre même que plus l'accusation de socialisme a été utilisée contre Barack Obama par les Républicains, plus celui-ci montait dans les sondages. Ainsi, aujourd'hui, le nombre de jeunes américains qui préfèrent le capitalisme au socialisme n'est supérieur que de 17% à ceux qui préfèrent le système de Marx. Mais il y a mieux: des faits. Usines occupées, manifestations à Wall Street pour dénoncer le capitalisme, désobéissance civile, création de coopératives ouvrières: le socialisme, même sans dire son nom, s'installe peu à peu dans la vie sociale américaine. Il va de soi que le patronat y réagit comme il l'a toujours fait: par la répression. Mais même certains shérifs se mettent à soutenir les rebelles.

Une révolution? Non. Une révolte? Même pas. Mais un frémissement. La haine du capitalisme commence à l'emporter, mais on ne sait pas encore comment répondre. Comme le dit très justement une femme dans le film, il est difficile de penser différemment quand on a entendu toute sa vie que le bonheur venait de ce que disent les autres.
En France, qu'en est-il? Je suis persuadé que nous sommes en avance sur les USA, sur ce point. Ce ne serait pas la première fois. M'est avis que ce frémissement que sent Michael Moore, nous le sentons également en France. Et c'est précisément ce que j'avais ressenti, après les manifestations géantes du début de l'année.

IV. La religion

Voilà en revanche ma petite déception concernant ce film. Dans une interview accordée à
l'Humanité Dimanche de la semaine dernière, Michael Moore explique que son recours à la
religion était indispensable pour être entendu par le public américain. On comprendra aisément, si l'on sait combien le peuple américain est religieux, que le discours - aussi juste soit-il - de M. Moore ne serait pas écouté s'il commençait en se disant communiste et athée. Alors il fait appel à des curés et des évêques, qui expliquent que le capitalisme est un péché et une incarnation du mal. Passés mes premiers étonnements, pourtant, j'ai considéré que ces prêtres n'étaient pas déplacés si on les prenait pour ce qu'ils étaient: des opposants de circonstance au capitalisme. Car il ne faudrait pas oublier que ce régime a été en grande partie installé par les religions, et que dans les pays où la religion est un modèle étatique, les conditions de vie n'y sont que rarement meilleures. Cependant, j'ai voulu considérer que le générique de fin, sur l'air de l'Internationale puis de la magnifique chanson de Woody Guthrie Jesus Christ, était une façon de laisser l'Eglise à sa place.
Néanmoins, il serait stupide de mépriser ces prêtres. En effet, si l'Eglise, institution conservatrice par excellence, se met à critiquer de façon générale le capitalisme, il me parait légitime d'y voir une nouvelle confirmation du frémissement que j'abordais plus haut.

J'entends déjà les critiques : "pamphlétaire" (
JDD), "provocateur" (Télérama), et même "donneur de leçons" pour le ô-combien-surprenant-Figaro. Pour autant, je lui reconnais cette grande qualité de mettre à plat ce que très peu de journalistes ont su nous expliquer depuis le début de la crise économique et financière. Ce film en dérangera sans doute plus d'un, mais il est plein d'espoir pour 99% d'entre nous.

Un grand merci à Michael Moore, qui nous dit aussi qu'il en a assez de faire le combattant isolé, qu'il aimerait qu'on s'y mette aussi. Et si nous l'écoutions?

Pour ceux qui ont lu jusqu'au bout, un cadeau!
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