Et je parle de l'ouest de Paris. Désolé de faire un petit peu de parisianisme, ce qui n'est particulièrement pas correct alors que commence une campagne électorale qui devrait inciter à parler des régions. Mais si j'ai mon avis très net sur les élections régionales, je n'entends pas le donner ici, ce blog n'ayant jamais eu pour but de faire la propagande d'un quelconque parti ou d'une quelconque union électorale.

A l'ouest de Paris, le XVIème arrondissement. Autour de l'Arc de Triomphe, un quartier internationalement connu mais que pourtant très peu de parisiens fréquentent. Non qu'ils le laissent aux touristes (qui dépassent rarement la place de l'Etoile de toute façon) mais ils n'y ont rien à faire. En effet, dans ce quartier se succèdent les hôtels de luxe et les banques privées. Autant dire que ce n'est pas la majorité des Parisiens qui peut trouver un intérêt à ce genre de commerce.

Dans cet amas de luxe, il y a un lieu chargé d'une histoire un peu particulière. Au 30 rue La Pérouse, les armées d'occupation allemandes avaient établi leur quartier général dans l'hôtel Majestic. La bâtiment y restera à jamais inscrit dans l'histoire de la 2nde Guerre Mondiale. Il se trouve que c'est aussi dans ce bâtiment que sont signé
majestic-copie-1.jpgs, des années plus tard, les célèbres accords de Paris de 1973 pour mettre fin à la guerre entre les USA et le Viet-Nâm. Propriété de l'Etat depuis la libération, il sera finalement vendu à une société privée qatariote qui a décidé d'en refaire un complexe hôtelier de grand luxe.

C'est là que les choses se corsent. Pour bâtir son palace, la société fait appel à Bouygues immobilier, qui délègue la démolition en sous-traitance à l'ADEC. Les ouvriers de l'ADEC, 63 sans-papiers, travaillent dans des conditions bien moins favorables que le droit français ne le permet, tout en cotisant pour la retraite (à laquelle ils n'ont pas droit) et en payant des impôts. Nous sommes loin des suites luxueuses qui ne sont pourtant qu'à quelques mètres..

Malgré le risque, épaulés par plusieurs syndicats, les ouvriers votent la grève, et l'occupation de leur chantier. Leur revendication? Une régularisation. Si Bouygues leur a donné du travail, il est hypocrite de les traiter en indésirables. Ils travaillent, mais n'ont droit à quasiment aucune prestation sociale. L'image véhiculée par la droite, figurant le sans-papier en parasite, vivant au crochet des allocations diverses n'a plus qu'à être inversée. Ils travaillent, payent des impôts, cotisent pour la sécu et la retraite, et n'ont droit à aucune allocation, ni à aucune aide sociale. Alors ils occupent leur chantier pour demander que l'hypocrisie prenne fin, et qu'ils puissent gagner en
onbosseici5.jpg dignité: ne pas avoir à changer d'identité quand leur patron le leur demande, ne pas avoir à craindre un contrôle de police comme s'ils étaient des criminels, et peut-être un jour, pouvoir vivre une vie normale avec leur famille.

Après quelques jours d'occupation, un incendie se déclare dans l'une des salles où dormaient les travailleurs. Les pompiers constatent l'origine criminelle, mais si les regards se tournent tous vers l'ADEC et Bouygues, personne ne peut l'établir formellement. Toujours est-il que les grévistes sont évacués pour échapper au feu. Une fois l'incendie éteint, quand on les laisse revenir, les portes sont cadenassées. C'est seulement grâce à une fenêtre ouverte au rez-de-chaussée qu'ils peuvent reprendre leur action. L'électricité et le chauffage leur sont coupés, et l'hiver approche, nous sommes fin octobre. A la mi-novembre, on veut les évacuer de façon plus légale, mais en exhibant leurs cartes d'accès au chantier et leurs fiches de paie, ils prouvent que leur action d'occupation du lieu de travail est légale, et qu'il ne s'agit pas d'un squat.

La solidarité s'organise. Des riverains, des militants politiques et syndicaux, des journalistes et des citoyens simplement touchés par le courage de la démarche, viennent leur rendre visite, et leur apporter de quoi se chauffer et se nourrir. En face, aucun interlocuteur ne semble les prendre en compte. Aucune réponse n’est donnée à leur revendication jusqu’au mercredi 20 janvier, il y a deux jours, au matin. 11 cars de la gendarmerie mobile viennent les expulser du chantier. Appelés en urgence, des militants du PCF leur viennent en aide, un militant CGT est blessé et un gréviste perd plusieurs dents. La violence se déchaîne chez les forces de l’ordre.

Alors je sais, ce que je raconte ne colle pas à l’ambition de mon blog, ça n’apporte ni réconfort  ni lueur d’espoir. Aussi, voilà l’espoir que je perçois. Une infime lueur. Malgré la violence de leur expulsion, les sans-papiers de l’hôtel Majestic n’ont pas renoncé à leur mouvement. Bien entendu, leur chantier ne peut plus être occupé, mais eux, ils n’acceptent pas pour autant de travailler dans n’importe quelle condition, et les matraques n’ont pas suffit à leur faire reprendre le travail. Cette fois encore, la solidarité leur a donné le courage de ne pas renoncer, et il y a fort à parier qu’ils seront bientôt régularisés, au même titre que les 6000 sans-papiers de région parisienne en grève depuis 3 mois dans un silence médiatique déconcertant.

En attendant, si M. Besson préfère fermer les entreprises qui embauchent des sans-papiers, qu’il ferme Bouygues, mais aussi EDF, la RATP, et l’Assemblée Nationale….

Retour à l'accueil