L'information est tombée en milieu d'après-midi hier, c'est officiel, l'Irlande a voté "oui" au traité de Lisbonne. Il y a un an, elle avait voté "non". Que s'est-il passé? Pourquoi cet événement est-il absolument primordial dans l'histoire de la construction européenne? Retour en 5 chapitres sur une tragédie politique.

Chapitre I

Tout commence le 29 mai 2005. Ce jour-là, les dirigeants européens n'en croient pas leurs yeux, et Jacques Chirac ne sait plus où se mettre. Toute la classe politique des démocraties parlementaires européennes apprend que le peuple est parfois capable de penser par lui-même. C'est un choc. Le Parti Socialiste, l'UDF (futur MODEM), l'UMP avaient fait campagne ensemble. Dans la majorité, on disait que le "oui" soutenait le gouvernement, dans l'opposition, on disait qu'il le combattait.

Quelques partis d'extrême-gauche (LCR -futur NPA, LO) et une partie de la gauche (le PCF et une fraction du PS), pourtant - en plus des nationalistes de droite - appelaient à voter "Non". Si les nationalistes y voyaient un recul de la souveraineté nationale, la gauche y voyait surtout un texte d'inspiration absolument libérale qui interdisait purement et simplement la remise en cause de l'économie de marché.

55% des Français votent "non". La participation est de 70%

Chapitre II


Trois jours plus tard, les Pays-Bas sont appelés au même référendum que les Français. Pour les Pays-Bas, c'est la première fois qu'un référendum est mis en place. Comme en France, les élites politiques de gauche et de droite appellent à voter "oui", mais le peuple, pour des raisons très similaires à la France (quoi qu'en aient dit les médias de l'époque) se prononce différemment.

62% des Néerlandais votent "non". La participation est de 63%.

Chapitre III

Les leçons à tirer de ces deux scrutins sont claires: la séparation n'a jamais été aussi grande entre les élus et le peuple. L'Europe, mère de la démocratie (δημοκρατία en grec ancien signifie "le pouvoir au peuple") se retrouve en difficulté: 93% des parlementaires européens sont favorables au traité, mais chaque fois que le peuple est consulté à la suite d'un véritable débat public, il s'y oppose majoritairement.

Pour ne pas être plus ridicule, l'Union Européenne décide d'arrêter net les consultations pays par pays sur le traité.

Que fait donc une démocratie quand elle s'aperçoit qu'elle n'est pas démocratique?
Elle se rend moins démocratique encore. En effet, la parade est vite trouvée. Il suffit d'enlever le mot "constitution" du titre et de garder le même texte, pour pouvoir le soumettre à nouveau aux votes comme si les premiers refus avaient concerné un autre débat. De cette manière, les parlements peuvent voter le texte avec une très large majorité, et aucun peuple n'a à être consulté.

"On ne consulte pas le peuple, mais c'est pour son bien", nous a-t-on alors expliqué. "Le peuple ne sait pas ce qu'il fait." C'est le fondement de toute démocratie, non?

Pourtant,
76 % des Allemands, 75 % des Britanniques, 72 % des Italiens, 65 % des Espagnols et 71 % des Français
 souhaitent être consultés. Il n'en sera rien.

Chapitre IV


Sauf qu'en 1973, l'Irlande avait rejoint l'Union Européenne, et que la constitution de ce pays l'oblige à consulter son peuple par référendum. Pas le choix. Cette fois, toute l'Europe regarde. Ils ont intérêt à accepter, parce que ça mettrait à bas tout le plan très ingénieux qui consistait à faire croire que cette fois le peuple était d'accord par l'intermédiaire de ses élus. Rebelotte: les travaillistes, les verts, le centre-droit, les libéraux, les nationalistes: tous appellent à voter "oui". Seuls le Sinn Féin (parti très à gauche dont l'objet principal est la réunification de l'île - voir ici) et le très minoritaire parti communiste irlandais appellent à voter "non" pour les mêmes raisons que leurs homologues français et néerlandais l'ont fait avant eux (également un parti souverainiste très peu représentatif).

Devinez quoi? Avec une participation de 53%, le peuple Irlandais rejette le traité à 53,4%

Chapitre V


Cette fois-ci, les responsables du traité de Lisbonne sont parfaitement ridicules. Le sont aussi les parlementaires qui ont voté "oui" dans tous les pays (y compris la France, les Pays-Bas, et l'Irlande). Mais puisque le ridicule ne tue pas, et qu'aller à l'encontre de la démocratie n'a pas gêné les Français et les Néerlandais, on propose à l'Irlande d'en faire de même: puisque les Irlandais ont mal voté, ils recommenceront, et ce jusqu'à l'épuisement s'il le faut, tant qu'ils n'auront pas voté "oui".

Le premier ministre irlandais, figure de Alors voilà, un an après le référendum irlandais, un nouveau référendum se tient. Mais pour ne prendre aucun risque, on engage une campagne de propagande gigantesque, sans commune mesure avec les précédentes. Tous les chefs d'état européens se relaient à Dublin pour mettre en garde l'île contre un vote "rebelle". On menace le pays, on l'accuse, on l'insulte. Sur place, la télévision interdit d'antenne le Sinn Féin et les tenants du "Non" qui sont qualifiés d' "agitateurs anti-européens". On met en perspective la crise économique en expliquant (avec la pire mauvaise foi) que le traité est le seul remède contre la récession et le chômage (c'est l'inverse).

Toujours est-il que le peuple, victime de la propagande, sous la menace directe des dirigeants européens, et lassé par une démocratie qui, clairement, ne veut pas l'écouter, vote "oui" à une très large majorité (67%).

Il n'est pas impossible que les urnes aient été bourrées. Je sais qu'en disant cela, je m'attire des critiques, d'autant qu'aucun élément de preuve ne me permet de l'affirmer. Notez, je vous prie, que je n'accuse personne, mais émets une hypothèse qui me paraît envisageable en raison du poids du score positif, et de l'inversement radical par rapport aux positions de l'an dernier. Cette idée est également viable quand on sait l'importance que revêtait ce vote pour l'Union Européenne et l'attachement que celle-ci porte à la démocratie, comme nous venons de le voir.

Qu'il y ait eu ou non une manipulation des résultats du scrutin, il y  a de toutes façons eu une triche, lorsque l'on voit les moyens (publics) mis en place en faveur du "oui" et la censure dont ont fait objet les partisans du "oui". Il y a de toutes façons eu une triche dans la mesure où l'on a fait revoter un texte déjà voté. Il y a de toutes façons eu une triche puisque le texte voté avait été rejeté préalablement par d'autres pays.

Souvenez-vous de ce samedi 3 octobre 2009. Souvenez-vous en bien, car si, un jour, vos enfants ou petits-enfants vous demandent ce que vous faisiez pendant que l'on assassinait la démocratie en Europe, vous pourrez raconter votre journée d'hier.

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