Une fois n'est pas coutume, je vais vous raconter ma vie. Enfin, je ne vais pas vraiment vous raconter ma vie, rassurez-vous, mais je vais vous parler d'un micro-événement auquel j'ai eu l'occasion d'assister il y a quelques jours.

Pour des raisons qui me concernent, j'étais donc en Irlande ces derniers jours, et je suis notamment passé par la ville de Derry. Pour vous présenter brièvement les choses, Derry est une ville de 105 000 habitants, située dans l'un des 6 comtés de la province d'Ulster (qui en compte 9 en tout) actuellement occupés par l'armée britannique. D'un point de vue touristique, Derry est très peu attractive. Elle possède un musée officiel de l'histoire de la ville, et de très jolis remparts du XVIIème siècle. Mais les événements politiques poussent peu au tourisme, puisque la guerre d'Irlande du nord a vu certaines de ses pires illustrations dans cette ville, qui souffre encore aujourd'hui de difficiles séparations, et privations de liberté.

En se promenant dans les rues de Derry le soir, on peut être tenté de croire que l'on est dans n'importe quelle ville de province européenne: quelques jeunes vont dans les pubs branchés pour écouter de la musique, les restaurants et fast-foods sont pleins, et le son des télévisions s'entend dans toutes les maisons depuis la rue. Mais il suffit de croiser une voiture blindée de type militaire (mais appartenant à la police britannique) pour se rendre compte que le conflit est encore d'actualité. Un petit peu partout, les peintures murales sont là pour nous le rappeler. Comment, en effet, ignorer ce dessin d'enfant, affiché dans le Bogside (quartier populaire de la ville) représentant la silhouette d'un jeune homme, sous laquelle il est écrit "this is my brother, he was 18 in 2008, when he has been killed.  Who said it was over?" ("C'est mon frère, il avait 18 ans en 2008, lorsqu'il a été tué. Qui a dit que c'était fini?")


Un mur de Derry indique l'entrée dans le quartier du Bogside, qui refuse la domination britannique.

La raison pour laquelle je vous raconte tout cela, c'est une scène à laquelle j'ai assisté samedi midi. Au centre commercial de Derry, un karaoké ambulant avait été installé pour les enfants dans la salle où de nombreuses familles étaient venues pour déjeuner. Les enfants s'y succédaient pour chanter - avec plus ou moins de talent - les chansons de leurs idoles. Jusque là, rien de bien spectaculaire. Mais pourtant, l'une des prestations m'a semblé assez marquante. Un petit garçon d'une dizaine d'années chantait la chanson "I want to break free" (je veux m'émanciper) de Queen, et au moment de prononcer la phrase "God knows I want to be free" (Dieu sait comme je veux me libérer) il a regardé son public et levé le poing, d'un air déterminé plutôt surprenant, compte-tenu de son âge. Là-dessus, les spectateurs se sont lancés dans de sincères applaudissements, très fournis et impressionnants. Alors peut-être me suis-je fait des idées, mais je crois pouvoir dire qu'il s'agissait clairement là d'un acte politique émouvant.

Quand on connaît l'histoire de l'Irlande, plus encore que dans le reste de l'Europe, on peut facilement être tenté de se laisser abattre par la consternation et le découragement. Moi qui m'y intéresse de près, je dois reconnaître qu'il est souvent difficile d'y garder un espoir intact. Pourtant, en voyant cette scène au centre commercial, comme en en voyant plusieurs autres, je reste persuadé que l'espoir a toute sa place dans ce pays.

Il y a quelques mois, le gagnant de la Star Academy britannique (Eoghan Quigg, un nord-irlandais du comté de Derry) a expliqué à la presse irlandaise que les producteurs de l'émission lui avaient expressément demandé de taire ses sympathies pour les mouvements républicains nationalistes irlandais, et l'avaient même forcé à chanter une chanson à la gloire de l'armée anglaise. Âgé de seulement 16 ans, et tout grisé par son éphémère succès, il a accepté de chanter cette chanson, mais s'est empressé d'expliquer à la presse que ce n'était aucunement son choix.

Je ne vais pas raconter la morale de cette histoire, je ne suis même pas sûr qu'il y en ait une. Je tenais simplement à vous la faire connaître, car quand des lueurs d'espoir se font tout à coup jour devant vos yeux, il serait criminel de les laisser passer! N'hésitez d'ailleurs pas à m'envoyer vos propres témoignages!

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