Une lueur d'espoir, une vraie, nous vient des Antilles.

Peut-être que certains des lecteurs réguliers de ce blog se sont demandés pourquoi je n'avais pas encore parlé de l'énorme insurrection qui agite deux (et peut-être demain quatre) départements français. Ce n'était certainement pas par mépris, mais plutôt par une volonté d'en savoir plus sur les raisons de la colère.

En métropole, il faut bien l'avouer, les informations données par les médias restent plutôt vagues sur le sujet. Pendant deux semaines entières, la Guadeloupe était complètement paralysée par une grève générale sans que les médias métropolitains n'en disent un mot. Quand, enfin, nous avons commencé à en entendre parler, c'était pour apprendre que "les manifestations s'amplifient" ou que "le ministre, Yves Jégo, rentre à Paris", ou encore que  "les touristes sont malheureux car ils ne peuvent pas louer de voiture sur place". Bref, trouver des explications sur les vraies revendications des manifestants relève malheureusement du parcours du combattant.

Aujourd'hui, je me suis rendu à la manifestation parisienne en soutien aux révoltés antillais. Pour moi, il s'agissait avant tout de trouver des réponses et des explications. Je suis entièrement satisfait, car rarement j'ai pu assister à un cortège aussi intelligent. Pas de débordements, loin s'en faut, mais un beau rassemblement en fin de manifestation, sur la place de la nation, pour écouter les discours des personnalités en place, entrecoupés de chansons et musiques.

Arrivés place de la Nation, les pensées étaient toutes dirigées vers la famille et les amis de Jacques Bino, militant de la CGT locale tué dans des circonstances obscures mercredi dernier. Après une minute de silence et un chant funèbre très émouvant, la parole s'est libérée, et beaucoup de manifestants ont exprimé leur colère, résumée dans une phrase de l'intervenant à la tribune: "même si la gendarmerie n'est pas à l'origine du coup de feu (ce qui reste à prouver), elle est à l'origine de la tension extrême qui a mené à ce coup de feu."

Dans la foule, les discussions vont bon train, l'occasion pour moi de mieux comprendre l'origine du mouvement.

Une Française d'origine vietnamienne, dans le cortège, m'explique spontanément que son père est mort dans l'usine d'un colon d'Indochine, et qu'elle n'a jamais reçu la moindre tentative de compensation de la France. "Pour moi, venir aujourd'hui soutenir les militants guadeloupéens et martiniquais, c'était naturel." Une Guadeloupéenne venue faire ses études à Paris réagit "je suis soulagée de voir tout ce monde, je croyais que personne, ici, n'acceptait de voir que la Guadeloupe était toujours une colonie." et pour préciser sa pensée, elle m'explique, passionnée "mes parents travaillaient sur les exploitations agricoles de colons, et avec le peu qu'ils gagnaient, ils n'avaient pas le choix de ce qu'ils devaient consommer: ils étaient obligés d'acheter à leurs patrons. Aujourd'hui, l'industrie antillaise est contrôlée par 5 ou 6 familles de békés (les héritiers des familles de colons) qui ont le monopole des produits de consommation courante. Rien n'a changé."

Je commence à comprendre ce que signifie "la vie chère". Ce n'est pas un concept global, c'est quelque chose de très précis: quelques familles en situation de monopole n'hésitent pas à faire grimper les prix en profitant de marges de profit énormes.

Un jeune martiniquais entre dans la conversation: "Ce qui me choque le plus, c'est qu'après un mois d'insurrection, Sarkozy est toujours au salon de l'Agriculture. Si ça se passait en Corse ou en Picardie, il ne se serait pas déjà déplacé, peut-être?" et comme un écho, la tribune lui répond: "Quand il y a une crise en Georgie, il faut 48h à notre président pour être à Moscou et à Tbilissi. Quand la crise est dans nos propres départements, il lui faut un mois pour commencer à songer à réagir."

Un autre manifestant guadeloupéen renchérit : "et pourquoi les dirigeants de l'île viennent tous de métropole? Le préfet, le ministre, les dirigeants des banques etc... pas une seule responsabilité n'est confiée aux guadeloupéens, ce n'est pas normal, ce n'est pas juste!"

Les discussions ont continué, comme ça, un certain nombre d'heures, toujours dans le calme et le respect des différents points-de-vue. Pour moi, qui connaissais assez peu le problème, elles m'ont réellement permis d'en saisir la complexité, et d'adhérer totalement à chacune des revendications du LKP.

Pour la plupart des manifestants, d'après ce que j'ai pu comprendre, la revendication n'était pas directement indépendantiste, comme je l'avais entendu dire par d'autres sources. La question se pose en fait autrement, comme l'a résumé une autre manifestante: "soit on est des départements français, auquel cas on attend la même justice, les mêmes conditions de vie, les mêmes salaires, et les mêmes prix que dans le reste de la France; soit on ne demande plus rien à la France, mais dans ce cas, on n'est plus un département français."

En somme, ce n'est vraiment pas la lune que demandent les antillais, mais juste la justice, l'égalité et le respect.
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